Question à Querelle

Querelle de Kévin Lambert, jeune auteur canadien dont c’est le deuxième roman publié, est le récit de la conduite d’une grève dans une scierie de la petite ville de Roberval dans la province du Québec. Sise sur les rives du Lac Saint-Jean, la localité devient le théâtre d’une opposition toujours plus violente autour de la grève menée par les employé·e·s ; d’abord entre ces dernier·ère·s et les dirigeants de l’entreprise, puis avec les employés d’autres fabriques appartenant à la chaine de production dans laquelle s’insère la scierie, puis avec la ville entière.

Ce conflit qui s’élargit, on le suit au niveau des personnages, le récit se fait à la hauteur des femmes et des hommes qui en sont les principaux protagonistes : on trouve parmi les employé·e·s en grève Jézabel, sa sœur Judith et d’autres, mais surtout Querelle, qui donne son titre à l’ouvrage et en fournit aux sens propre et figuré l’objet.

Querelle est un jeune adulte, tout juste arrivé à Roberval et à la scierie, seulement quelques semaines avant le début de la grève, et sa figure – fortement musclée, très séduisante, très virile selon le texte – concentre cette grandissante opposition. L’on sait dès les premières pages que le Querelle de Brest de Jean Genet est convoqué – qu’il me faut avouer ne pas avoir lu – et qu’à son instar, Querelle de Roberval est homosexuel, et s’épanouit dans une sexualité présentée par le texte comme scandaleuse. Néanmoins discret la journée, son empire se déploie la nuit sur Roberval et nombre de prétendants nous sont présentés comme languissant d’être dans la couche de Querelle, cet être sublime qui attire tous les regards, des hommes comme des femmes, qui concentre également sur lui les foudres des parents l’ayant pris en haine pour avoir dévoyé leurs enfants. Querelle fonctionne alors un peu à la manière du personnage de l’Inconnu dans le Théorème de Pier Paolo Pasolini, l’agent de la division, l’agent de la querelle.

Simple employé de scierie le jour, Grand Méchant Loup la nuit, le récit fonctionne sur un certain nombre d’oppositions similaires : les oppositions susmentionnées auxquelles donne naissance le conflit social, les oppositions au sein même des grévistes, et à un niveau plus général une opposition entre Éros et Thanatos.

Construit à la manière une tragédie antique – on trouve un Prologue, un Parodos, un Exodos et un certain nombre d’Épisodes –, le texte présente l’évolution du conflit, jusqu’à sa conclusion violente et meurtrière.

La critique complète est à découvrir ici.

Laurent Afresne


A 27 ans, le Québécois Kevin Lambert déboule avec un second roman très réussi. Un histoire politique où tout le monde est à la marge et où ces exclus flirtent avec le fantasme. 

Il fait froid à Roberval, au nord de Québec, au bord du Lac Saint-Jean. Et pourtant un petit groupe de personnes piétine dans cette atmosphère gelée, à l’entrée d’une scierie, depuis plusieurs jours déjà. Ils sont en grève. Et parmi eux un homme, Querelle, que rien ne distingue des autres, sinon qu’il est apparemment beau, jeune et homosexuel.

Querelle du jeune auteur québécois Kevin Lambert, nous plonge au coeur du Québec, cette Belle Province, si proche de nous, Français, et pourtant si étrangère. Un territoire et ses habitants qui passent en dessous des radars, éclipsés par une version plus touristique et photogénique. Le Québec de Querelle est miné par la lutte des classes, le combat entre ouvrier et patron et un certain individualisme. 

Ça c’est la version courte, limite factuelle de ce roman en vérité irrésumable.

La critique complète est à découvrir ici.

Quentin Paillé


L’histoire se déroule dans une scierie au Québec lors d’un mouvement de grève initié par les employés. Le groupe de grévistes se compose de membres très hétérogènes dont un jeune nouveau, Querelle, qui perturbe par l’attirance qu’il suscite chez les personnes le côtoyant. Chaque personne connaît un parcours de vie différent. Or, cette richesse de destin qui s’entremêle permet à l’auteur d’élaborer le portrait d’une société dans une petite ville du Canada où chacun essaie de survivre en fonction de ses moyens et de ses soucis. L’intrigue repose sur le bras de fer qui oppose les grévistes avec le gérant de la scierie.

Les incidents et les rebondissements s’enchaînent jusqu’au moment où surgit de nulle part le narrateur qui intervient. Il tend pendant un chapitre à défendre la position du gérant ce qui surprend au vu des précédents chapitres qui brossaient un portrait peu sympathique du personnage et de ses décisions. Suite à cela, la déchéance semble frapper le roman de plein fouet. Le suicide d’un gréviste, la mort violente de Querelle et la dérive du groupe qui en vient à s’introduire chez le gérant et à en tuer les enfants marquent le déclin de la lutte. 

Querelle est un roman intéressant qui mêle adroitement des passages crus et d’autres plus classiques. Néanmoins, la nécessité des passages d’ordre sexuel peut être questionnée notamment sur le point de leur apport à la narration. Leur intégration à la narration semble bancale et donne l’impression d’être rajouté pour apporter un côté trash et underground. Ils restent toutefois très bien écrits, comme le reste du roman. La plume est fluide et le vocabulaire utilisé dans les descriptions permet de bien cerner l’atmosphère du roman. L’attachement aux personnages est effectif, et les destins décrits de ceux-ci sont pour moi le point fort de ce livre qui arrive à nous plonger dans l’ambiance si particulière de cette ville du Québec. Querelle, le personnage éponyme, représente la fraîcheur et apporte une ode de vie aux grévistes. La relation entre lui et Jezabel est un baume au cœur dans ce roman dur et éprouvant. 

Cependant, le roman enchaîne de très bons passages qui possèdent une vraie tension dramatique ou même simplement une écriture narrative agréable et entraînante avec des moments plus longs qui nous font décrocher un peu de l’intrigue. Il aurait fallu peut-être choisir entre se concentrer sur l’histoire de la grève ou se centrer sur l’histoire des vies des grévistes, car la frontière est floue ce qui ne donne pas assez de profondeur et de cohérence au fond du roman. 

En finalité, pour moi, Querelle de Kevin Lambert reste un roman de qualité qui aurait à gagner à clarifier sa ligne narratrice, mais qui possède un très beau style et des passages émouvants. 

Jeanne Berenguier


Les tragédies grecques sont traditionnellement découpées en cinq parties : prologue, parodosstasimonkommos et exodos. Pour celles et ceux ayant eu le plaisir de lire Œdipe-roi ou encore Antigone de Sophocle, vous ne serez peut-être pas étonné.e.s lorsque j’avancerai que prologue et parodos ne sont pas les parties les plus captivantes de ces pièces de théâtres, mais que l’action se trouve bien plus dans le stasimon et le kommos, créant l’attendue catharsis avant l’exodos

Querelle, deuxième roman du québécois Kévin Lambert, ne déroge pas à la structure traditionnelle du théâtre grec. Oui, vous avez bien lu ! ce jeune auteur s’approprie la structure initiale de la tragédie pour donner vie à sa « fiction syndicale ». Mais ne vous inquiétez pas, lecteurs et lectrices étaient aussi dubitatifs.ves que vous au début de la lecture, et ce choix de découpage ne pris tout son sens qu’en abordant les derniers chapitres du roman. Kevin Lambert joue avec les sous-entendus et oscille entre culture dite érudite et une autre plus populaire pour nous dérouter. Après une épigraphe citant un Jean Basile inconnu et son opus 666 au côté de la célèbre chanson Work Bitch de Britney Spears, l’incipit in media res nous plonge dans un univers cru et provoquant avec la description de l’activité sexuelle du protagoniste donnant son nom à l’œuvre. Celui-ci enchaîne les nuits avec ses conquêtes Grindr, des jeunes de « 16,17,19, 21 ans » qui s’échange le nom de ce dieu du sexe à la carrure plus que séduisante. Mais ne vous y trompez pas ! Kevin Lambert ne souhaite pas nous conter l’histoire de la vie d’un homosexuel. Le thème de la sexualité, même s’il est très présent dans l’ensemble de l’œuvre et ce de manière très libre et ouverte (on n’oublie pas ces trois jeunes s’engageant dans des pratiques décrites de manière très crue et dure), n’occupe pas le premier plan de l’histoire. Kevin Lambert préfère conter à son lectorat l’histoire d’une « fiction syndicale » via le mouvement de grèves d’ouvriers d’une scierie à Roberval, commune du Québec au bord du lac Saint-Jean. L’histoire de milliers de personnes qui, chaque jour, luttent pour de meilleures conditions de travail, contre la délocalisation et pour une hausse des salaires. Des personnes qui ont à peine de quoi subsister et qui sont obligées de prendre un deuxième travail pour être sûr de manger jusqu’à la fin du mois comme Jéza. Des ouvriers et des ouvrières qui trouvent tout de même des moments de bonheur au bord de ce fameux lac, été comme hiver. Des travailleurs et travailleuses qui luttent face à un mur, le directeur de la scierie n’ayant cure de leurs revendications tant que chiffres et taux de production restent à peu près constants et qui sait très bien comment mettre fin à cette lutte sans que l’entreprise n’en soit mise à mal pour autant. Kevin Lambert nous plonge dans cet univers sans misérabilisme ou pitié. Il décrit de manière assez objective les réunions des grévistes, s’attache à chacun des personnages engagés dans la lutte pour nous montrer leur quotidien et nous apprendre, sans grand surprise, que tous et toutes ne sont pas portés par les mêmes intérêts. Tandis qu’un petit groupe comprenant Querelle et Jézabel, radicaux, veulent aller jusqu’au bout, d’autres, comme Bernard ; souhaitent voir la fin de la grève arriver au plus vite et s’en détachent de plus en plus tandis que les derniers sont détruits par cette lutte acharnée. L’auteur ne nous invite pas à lire une histoire drôle ou sympathique, il nous met face à la réalité, notre réalité, avec toute la tragédie qu’elle contient. Il nous fait même part des pensées de ce directeur égoïste et des personnes qui le soutiennent, créant un revirement soudain dans le roman avant le début du stasimon, nous faisant relever les yeux et déglutir difficilement. La lutte à main armée débute à cette page 149 et la fin tragique nous marque à jamais. Main sur la bouche réprimant un cri, les images d’horreur nous hante durant des jours voir des semaines, ce début un peu lent étant oublié au profit de cette fin terrible, cet enfer qui détruit tout et bouleverse lecteurs et lectrices. 

Kevin Lambert, après nous avoir décrit la grève de la manière la plus objective possible, décide de nous prendre aux tripes, et c’est chose faite. 

Clélia Delevoye