Rencontre avec Laurent Petitmangin

Retour sur le premier café littéraire de l’année, autour du roman Ce qu’il faut de nuit (La manufacture de livres).

Le mardi 26 janvier, les membres du jury ont inauguré la série de cafés littéraires : 5 cafés, 5 rencontres, chacune autour de l’un des romans de la sélection. Un format nouveau pour le prix littéraire des étudiants de Sciences Po, l’occasion de discuter une demi-heure entre membres du jury avant de recevoir l’auteur pour une heure d’échanges autour de la littérature.

C’est Laurent Petitmangin qui a ouvert le bal, accompagné de son éditeur Pierre Fourniaud. En ligne, dans une ambiance à laquelle étudiantes et étudiants sont habitué·es, les échanges ont permis d’évoquer Ce qu’il faut de nuit. L’une des révélations de la rentrée, prix Stanislas et plus récemment prix Fémina des lycéens, Laurent Petitmangin fait une entrée éclair sur la scène littéraire avec ce premier roman.

On y découvre le poids de l’engagement politique au sein d’une famille et les dissensions qui peuvent en émerger, jusqu’à la violence. La violence, c’est aussi celle du silence, quand la communication est rompue, que l’on peine à se dire les choses sans que l’amour disparaisse pour autant. Laurent Petitmangin le dira pendant les échanges, c’est ce dont il s’agit : une histoire d’amour entre un père et ses deux fils. En filigrane, la thématique de l’ascension sociale, où Gillou est celui qui part quand Fus incarne celui qui reste. La voix du père nous emporte au cœur de leur vie, lui veuf et engagé, politiquement d’abord, pour ses enfants ensuite.

Une heure d’échange et de nombreuses questions pour l’auteur. Son rapport à cette histoire, les choix des personnages et le rythme de la narration… Avait-il un plan précis au moment de l’écriture ? Qu’est-ce qui déclenche l’envie d’écrire sur cette thématique ? D’où vient le titre ?

Selon ses mots, chacun de ses livres — d’autres publications sont à venir — naît de sa première page. Une scène, une situation qui se révèle et qui apparaît nettement, écrite tôt le matin, relue le soir et réécrite ensuite, avant que toute l’histoire prenne corps. Certains personnages, Fus et le père en l’occurrence, lui viennent de façon innée. Ils sont là et l’auteur sait tout d’eux dès le départ. D’autres, comme Gillou, viennent « pour le besoin de la cause » et étoffent le récit. Les étudiantes et les étudiants obtiennent une réponse pour le plan.

La description des scènes, elle, ne se fait pas naturellement. Ce sont les mots de Laurent Petitmangin. Pour autant, par l’évocation de certaines d’entre elles, l’auteur prolonge la vie de ses personnages le temps d’une heure, ils existent avec nous, révélant en relais de sa plume, de véritables talents de conteur.

L’heure avance et les questions abondent. Elles montrent que les membres du jury cherchent la rencontre avec une personnalité. Plus qu’un livre, elles et ils cherchent à en savoir plus sur l’avant et l’après-publication. Tout ce qui, in fine, a contribué à la création de l’œuvre en elle-même : Ce qu’il faut de nuit, dont le titre est tiré du poème Vivre encore de Jules Supervielle.

Antonin Druet

Rencontre avec Lola Lafon

Le mardi 9 février, les juré.e.s ont eu le plaisir d’échanger avec l’autrice de Chavirer (Actes Sud), Lola Lafon, pour un deuxième café littéraire. Ces échanges, bien qu’en Zoom, permettent une discussion toute en intimité avec les auteur.e.s. Les juré.e.s sont invité.e.s à se connecter un peu avant afin de discuter entre eux du roman, avant d’accueillir l’écrivain.e pour une heure d’échange.

Depuis sa sortie, la critique encense le texte de Lola Lafon et plusieurs prix en soulignent sa qualité : le Prix Landerneau des lecteurs, le Prix du Roman des Étudiants France Culture-Télérama, ainsi que le choix Goncourt de la Suisse.

Le roman de Lola Lafon bouleverse et ne peut laisser le lecteur indifférent. Ce qui est intéressant avec le format d’un café littéraire, c’est que c’est avant tout une rencontre. Ici, c’est une rencontre avec l’auteure, le style, la plume, la femme derrière les pages…

Dans un premier temps, les questions des juré.e.s portent sur les personnages, sur l’écriture du texte et sur la partie du roman qu’il faut écrire en premier, la fin ou le début, dans le désordre, sur les recherches effectuées, sur le titre choisi… Une jurée, particulièrement fan du style de l’autrice, fait une comparaison avec ses autres romans. En somme, des questions classiques.

Mais peu à peu, une seule question subsiste, brûle les lèvres des juré.e.s, qui essaient de la poser à demi-mot… Les juré.e.s se lancent donc sur l’imbrication du thème du roman avec l’actualité du moment : #MeToo, #MeTooIncest ou encore la sortie de La Grande Familia.

Puis vient la question : « Avez-vous été agressée plus jeune ?« 

Lola Lafon reste évasive et parle plutôt des personnages de son roman. Elle n’en est pas à son premier essai, Une fièvre impossible à négocier (Flammarion, 2003) ou encore La Petite Communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud, 2014),ses romans ont tous, de près ou de loin, un lien avec des femmes victimes de violences sexuelles. Victimes ? Non. Ces filles ne se définissent pas en tant que victimes. Quelque chose s’est passé, dans le cas de Chavirer, lorsqu’elles étaient jeunes, très jeunes, trop jeunes… Mais elles ont continué leurs vies, elles ont trouvé un travail, sont tombées amoureuses, ont eu des enfants… Mais reste « une écharde », une vision, un souvenir usé par le temps, la mémoire fait peut-être défaut mais le corps n’oublie jamais.

Le corps de Cléo est usé par la danse, certes, mais il est usé au plus profond. Comment oublier ce parfum qui lui donne la nausée sans qu’elle exprime pourquoi. C’est au lecteur de lire entre les lignes. C’est le lecteur qui a vécu, peu importe le traumatisme, qui comprendra le mieux. Et c’est ce que Lola Lafon explique aux jurés, il n’y a pas besoin d’écrire la scène, le ressenti de Cléo suffit.

Ce dialogue lors du café littéraire rempli de sincérité donne une nouvelle dimension au roman.

Flore Souesme