L’importance du choix des mots pour une quatrième de couverture

Nous participons à l’organisation de ce Prix depuis ses débuts et nous avons une relation particulière avec tous les romans de la sélection. Nous avons décidé de prendre la plume pour parler de la quatrième de couverture de Sabena, d’Emmanuel Genvrin.

Si certains lecteurs se laissent tenter par la couverture lors du choix d’ un roman, la quatrième de couverture reste un élément tout aussi déterminant. Ainsi, le choix des mots utilisés dans une quatrième de couverture est primordial car il reflète l’atmosphère du roman, pose certains cadres et influence le lecteur. D’un simple regard, le lecteur va décider s’il emmènera le livre ou si il le reposera sur l’étagère.  

Pourtant, les quatrièmes de couverture ne sont pas l’oeuvre des auteurs, ce sont les maisons d’éditions qui s’en chargent. Et c’est pour pour cela que nous décidons d’aborder le cas de celle de Sabena, qui, selon nous, donne une image déformée du roman, et minimise son propos.

Sabena, c’est l’histoire de trois générations de femmes : la grand-mère Faïza, la mère Bibi et la fille Chati dont les vies vont être bouleversées par les évènements politiques de leur temps, dans un contexte de tensions religieuses et communautaires. 

Au dos du roman, Bibi est évoquée de façon particulière : “Calculatrice, belle comme une sultane des milles et trois nuits, elle est aussi une jeune femme fragile, mystérieuse, la proie de démons intérieurs.”

Dans le roman, Bibi est « calculatrice« , certes, c’est une arnaqueuse qui sait profiter des situations qui se présentent à elle. La résumer à cela est pourtant très réducteur.  Elle n’a pas choisi ce métier, ce sont ses difficultés sociales et sa situation personnelle qui l’y amènent. Avant cela, elle a été vendeuse, escort, serveuse en boîte de nuit, femme entretenue… Les arnaques rapportent plus et elle n’a plus à obéir à qui que ce soit, et surtout pas à des hommes qui se servent d’elle.

Est-ce réellement utile pour comprendre l’essentiel de l’histoire de s’attarder sur sa beauté ? Le roman pose sur nos trois femmes un regard très masculin où la beauté, les formes, les sourires sont sexualisés à outrance. Théorisé sous le nom de “male gaze” il est plus facile de s’en rendre compte au cinéma où des plans très rapprochés sur le corps des personnages féminins ne servent pas le propos de la scène. Dans le roman, les trois femmes sont désirées par tous et l’écriture insiste fortement sur leur beauté fatale. Puisque le roman prend place dans les territoires ultramarins, il est possible de rapprocher cela à une exotisation des “femmes d’ailleurs”, créatures enjôleuses, séduisantes qu’il faut conquérir. “Belle comme une sultane des milles et trois nuits” est particulièrement dérangeant car cela fait écho à l’orientalisme, ces femmes un peu sauvages à dompter, placées dans un harem…

En proie à des démons intérieurs” : les thèmes de la folie ou du traumatisme sont prévalents dans cet ouvrage. Nous sommes néanmoins perplexes face au choix de l’auteur de présenter ces femmes comme réellement “possédées par un démon”. Pourquoi l’auteur a-t il fait le choix de mettre un pied en dehors du “réalisme” de son ouvrage ? Pourquoi a-t il atténué le rôle des violences qu’ont subi ces trois femmes sur leur vie mentale en introduisant cet élément de fantastique ? Doit-on prendre ces propos comme une métaphore ? En effet, beaucoup de contes utilisent des interventions surnaturelles (esprits, démons, djinns…) pour expliquer des faits qui pourtant, sont bien naturels. Est-ce une façon de montrer l’absence de connaissances sur l’impact des traumatismes sexuels sur la santé mentale ?

Nous avons donc une question simple : pourquoi ne pas mentionner dès la quatrième de couverture que ce livre parle avant tout de violences sexistes et sexuelles faites aux femmes ? Par peur, peut-être, de faire fuir le lecteur, qui serait plus tenté par le côté chatoyant et exotique de l’histoire, plutôt que par “un énième livre déprimant” ? Cette quatrième de couverture laisse penser que le fil narratif déroulé serait celui d’une épopée familiale, où trois femmes relèvent avec ingéniosité les problèmes de la vie. Alors qu’après lecture, on constate que l’ouvrage est bien plus tragique : incapacité de s’échapper du destin familial, incapacité de se soustraire des traumatismes historiques (le statut de Sabena) aussi bien que personnels (viols, et violences physiques). 

Malgré la dureté du sujet, il aurait fallu, selon nous, faire preuve d’honnêteté et l’aborder dès la quatrième de couverture. Tout d’abord, pour protéger les lecteurs et les lectrices sensibles aux scènes violentes, ou qui ont un traumatisme similaire à affronter. L’auteur met en effet sur le papier les viols sans détours ni ellipse. Mais surtout, par respect pour la personne qui parcourt ces pages, qui peut se sentir flouée, déçue, et surtout secouée par la violence dont chaque page est imprégnée. 

Julie Tomiche et Flore Souesme