Ce mercredi 8 février, le prix littéraire des étudiants de Sciences Po a eu l’immense plaisir d’accueillir l’autrice iranienne-française Nasim Vahabi pour un temps d’échange autour de son livre : Je ne suis pas un roman (Tropismes Editions, 2022).

D’une voix posée et envoutante, presque dans un murmure, Nasim Vahabi a esquissé les contours de la censure, lui donnant au fil de l’heure une réalité tangible. Absente du vocabulaire de certains régimes et constituant paradoxalement leurs colonnes vertébrales, la censure est l’expression même d’une soif de contrôle sans limite.

Dès lors, le processus d’expression littéraire s’inscrit inévitablement dans un cadre défini en amont par le régime. C’est cette réalité que traduit les toutes premières pages du roman, où éditeur et autrice se rendent dans l’appendice garant de ce cadre, dont le nom importe peu, pour tenter de saisir le motif derrière le rejet d’un manuscrit. Ce passage est basé sur une rencontre réelle, enrichissante selon les termes de l’écrivaine, et qui est à l’origine du roman entre vos mains aujourd’hui. Elle ajoute qu’après avoir confié un manuscrit, il existe trois réponses possibles. La première consiste à recevoir une liste de mots à changer, facile dit-elle. La seconde être dans l’obligation de rayer un personnage, d’enlever un chapitre, déjà plus complexe. Enfin, l’absence de réponse qui équivaut à un non catégorique.

Dans une demi-teinte d’humour, l’autrice nous relate l’anecdote d’une rencontre avec une autre autrice lors d’un rendez-vous littéraire, où cette dernière lui demande s’il faut se présenter en indiquant le nombre de romans écrits, ou publiés … C’est cette réalité de la censure, que dénonce avec engagement Nasim Vahabi qui réaffirme que non seulement cette dernière tue physiquement, mais l’injection de cette peur tue également l’ambition de l’écrivain, le décourage de rêver, de laisser libre cours à son imagination, en un sens le noie dans son silence. Sur le ton de la confidence, elle indique que pour chaque roman il existe trois versions : le manuscrit publié et accessible en librairie, le manuscrit présent dans l’ordinateur de l’écrivain et enfin le manuscrit présent dans sa tête.

Après avoir pendant quelques années cédé à l’auto-censure et fait attention à ne pas « s’attirer de problèmes », Nasim Vahabi a fait le choix d’arrêter de s’exprimer dans les marges laissées par le régime et de prendre son envol. Bien consciente que la parution de ce roman allait entraîner son exil de l’Iran, elle est allée jusqu’au bout de sa démarche. A la question du sentiment procuré par cette parution dans un autre pays et dans une autre langue que le persan, elle répond avec beaucoup d’émotion qu’il s’agit de quelque chose d’à la fois réjouissant, mais douloureux, d’un déchirement et d’une reconnaissance profonde, le sentiment de liberté d’avoir cassé « un mur de peur ». Elle ajoute à présent vouloir poursuivre en frappant plus fort. Paru seulement une dizaine de jours avant les révoltes qui ont secoué, et secoue encore le pays, elle voit dans l’enchaînement de ces évènements une symbolique, un refus de ce pouvoir autoritaire.

Sur une note plus légère, la discussion s’est poursuivie autour de l’enjeu de la traduction et de ses implications. Selon Nasim Vahabi, il s’agit d’un processus très profond et non pas purement une question de grammaire ou de vocabulaire. Elle conçoit le processus de réécriture comme un voyage d’une langue à l’autre, le jeu entre une langue maternelle et une langue paternelle. S’en est suivi un riche débat sur la langue persane, ses différences avec le français notamment au niveau des pronoms et les passages qui lui avaient procuré plus ou moins de plaisir à transcrire d’une langue à l’autre. A l’issue de cette séquence elle a gentiment accepté, au plaisir de tous.tes celleux présent.e.s, de se prêter à une lecture à deux voix, l’une lisant en français, l’autre proposant une traduction en direct de ce même passage en persan. Une lecture, qui a permis de se plonger dans les sonorités originales du roman, un moment d’émotion hors du temps.

La rencontre s’est achevée sur un moment poétique autour de la couverture de l’ouvrage, laissant à voir une jeune femme en buste se détachant d’un fond blanc. Son visage est caché par sa main semblant surgir d’un paysage montagneux et désertique faisant office de vêtement. Les plus aguerris d’entre vous auront reconnu ce clin d’œil subtil à la chaîne montagneuse Elbourz en Iran.

Mathilde COTTEREAU